Auschwitz

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Auschwitz

1998, à la rencontre du pays de mes origines, j’ai fait un premier voyage en Pologne en compagnie de ma fille Charlotte âgée de 17 ans, un séjour d’une semaine au gré de nos désirs.
Un moment important de notre voyage, les deux jours passés chez une grande tante, un village dans la campagne près de Lodz, et en suivant, la visite du Mémorial et musée du camp Auschwitz-Birkenau ; deux temps d’une grande intensité.
Un couple septuagénaire d’un milieu rural pauvre nous accueille chaleureusement. Une langue inconnue de part et d’autre, avec pour seule aide un dictionnaire français/polonais, mais la lecture et la prononciation déjà si compliquées, alors une communication non verbale s'est mise en place. Nous avons regardé leurs photos, les nôtres, dans une étrange discussion. Puis, assis dans le jardin, mon grand-oncle m’a raconté des histoires pendant plusieurs heures ; que de sensations et d’images partagées, nos émotions, l'expression de sa colère, mes interrogations, nos rires. Certes fatiguée et déconcertée par cet échange, j’ai vécu quelque chose d’extraordinaire sur le plan du langage. Nous avons passé une nuit, puis il a fallu partir. Juste avant notre départ j’ai pris une photo de famille en couleur, une image souvenir.
Nous avons pris la direction d'Auschwitz et nous sommes arrivées au musée en fin de journée ; nous étions près de l’heure de fermeture et nous n’avons croisé que quelques personnes. Se retrouver seul dans ce camp est une expérience très impressionnante. En même temps, l'idée de rencontrer trop de monde sur ce lieu de mémoire m'avait fait hésiter sur le choix de cette visite, l’existence de ce musée est importante mais soulève des questions sur les dispositifs muséographiques.
Nous avons déambulé dans cet espace d’enfermement. Marcher, regarder, ressentir, penser. L’atmosphère ordinaire était pesante : l’amoncellement des nuages gris au-dessus de nos têtes ; un léger vent sur le visage, l'émotion de l'air ; les tas, chaussures valises cheveux lunettes brosses, l’odeur du passé ; à l’intérieur des baraquements, dortoirs toilettes cellules, l’odeur de la mort. Et puis cette sensation de présence, malgré des lieux, vides. Images et émotions envahissantes, le corps et la pensée en prise avec le lieu.
Ce jour-là je n'ai pas pu prendre de photos, ma fille a accepté de le faire et je lui ai indiqué quelques points de vue : une allée bordée d'arbres avec un alignement de baraques, un entre-deux de fil de fer barbelé avec un éclairage, dans le même secteur mais en se rapprochant un mirador, et plus loin, l’intérieur d’un crématoire. La dernière photo a été prise en roulant, nous éloignant du camp, Charlotte a photographié un couché de soleil.
Nous avons eu des problèmes techniques à la prise de vue avec notre vieux Canon AE-1, que l’on retrouve lors du développement de la pellicule : des traces de lumière, la superposition de photos puis l'empreinte de la pince lors du séchage du film et sa mauvaise découpe. Lorsque j’ai regardé le tirage contact, ce négatif a retenu mon attention et je l’ai mis de côté.
Quelques années plus tard, nourrie de lectures et de mon engagement artistique, j’ai repris ce fragment. Il a été numérisé transformé en positif mais présenté en tant que négatif. Aucune retouche n’a été apportée. Un enchevêtrement d'images et leur résistance constituent cette photographie. On y retrouve quelques éléments choisis comme les baraques, arbres, barbelés, lampadaire, mirador ; d'autres indices sont difficilement reconnaissables, une fenêtre, une lumière... Le couché de soleil est quasiment invisible, représenté par un petit point lumineux et à l’oblique on aperçoit des arbres de bord de route, un alignement de maisons. On voit des lignes d’enfermement, des lignes de fuite. C’est une vue instable, la photo est sous-exposée, c’est la grisaille. Image percée comme brûlée, image altérée comme voilée, mais image qui se présente. A la lisière d'une histoire familiale, faire émerger une réflexion sur notre rapport à ces temps de l’Histoire.



Auschwitz, 2011
Tirage Piezography sur papier Hahnemühle Rag Bright White 310g, contrecollage sur aluminium brut, cadre en chêne brut, baguette 15/30 + rehausse + verre antireflet, format 48,5 x 82,5 cm

Famille, 2011
Impression jet d'encre, 10 x 15 cm